dommage je l aimais bien

Suzanne Flon
La comédienne est morte à l’âge de quatre-vingt-sept ans, après une carrière longue de soixante ans au théâtre et au cinéma.

Suzanne Flon vient de mourir brutalement à l’âge de quatre-vingt-sept ans à Paris. Elle s’apprêtait à remonter sur les planches à l’automne prochain pour jouer dans Savanah Bay de Marguerite Duras.

Rien ne semblait la prédestiner au théâtre, d’où les chemins de traverse qu’elle a empruntés avec un formidable appétit de vivre qui la caractérisait. Un temps, elle a travaillé comme interprète d’anglais dans un grand magasin parisien, un fiasco, et à vingt ans, elle tente sa chance dans le monde du spectacle. Secrétaire d’Édith Piaf vers la fin des années trente, elle veillait à ce que la dame en noir ne noie ses chagrins amoureux dans les effluves alcoolisés. C’est lors des tournées de la chanteuse, qu’elle a attrapé le virus de la scène. Elle joue alors dans des sketches de variétés auprès de Dandy. « Je chantais aussi, ajoutait-elle, faux, et j’avais à dire un poème contre la guerre, et j’y mettais tout mon coeur. » D’autres expériences suivirent, après la rencontre qui fut capitale pour sa formation de comédienne avec Raymond Rouleau en 1943, pour le Survivant de Jean-François Noël à la Comédie des Champs-Élysées. La liste est ensuite impressionnante des pièces aux registres les plus divers auxquelles elle attacha son nom, certaines étant considérées comme des réussites.

Le théâtre alors triomphant de Jean Anouilh, à la fin des années quarante et dans les années cinquante, lui doit beaucoup. Elle créa ainsi Ismène de son Antigone, son Roméo et Jeannette, son Alouette, longtemps son rôle préféré avec celui du Mal court d’Audiberti dès 1947. La même année, elle avait joué aussi la Petite Hutte, la comédie d’André Roussin. En 1960, elle surprenait dans De doux dingues, une comédie burlesque de Michel André dont l’interprétation était « tuante », racontait-elle, « parce que le genre réclame non seulement de la virtuosité, mais aussi de la sincérité ».

Suzanne Flon ne dédaigna pas non plus les auteurs du répertoire : Shakespeare, Tchekhov, Pirandello, Musset au TNP mis en scène par René Clair en 1959. À un âge plus avancé, elle était redevenue curieuse du théâtre de son temps, créant des pièces de son amie Loleh Bellon dont elle aimait, confessait-elle, « les qualités de lucidité, de tendresse et d’humour ».

Au cinéma, elle connaît de jolis succès, en femme de tête ou en écervelée charmante ou encore en grand-mère idéale, sous la conduite de John Huston, Roger Vadim, Henri Verneuil, Claude Chabrol, Pierre Granier-Deferre, Jean Becker, etc. Elle se verra récompensée par deux molières de la meilleure comédienne en 1987 et 1995.

On retiendra de cette actrice une élégance rare, un sourire qui irradia son visage et une discrétion qui avait à voir avec la sagesse.

Edmond Gilles