Thaïlande
Un «tsunami économique» menace
Trois mois après le terrible raz-de-marée qui a balayé ses plages sud-ouest, la Thaïlande a lancé une campagne de communication pour faire revenir les touristes. Malgré une politique de prix offensive, elle peine à rassurer les voyageurs. Plus de 6% du PIB thaïlandais en dépend autrement dit, des milliers d’emplois.
De notre envoyée spéciale en Thaïlande
Tariya plie consciencieusement quelques tee-shirts sur la planche qui lui tient lieu d’échoppe. Balayé par la vague le 26 décembre, son magasin de plage n’a plus le stock qu’il avait avant le raz de marée. «Je n’ai plus d’argent pour le renouveler. Mais de toutes façons, pour quoi faire ? Il n’y a plus de clients!» soupire t-elle. Le mari de Tariya, qui est chauffeur de taxi à Patong, a abandonné les rondes sur Sol Bangla. Il reste désormais garé le long de la rue principale, pour économiser l’essence. Ils songent à partir pour trouver ailleurs de quoi gagner leur vie, à Pattaya peut-être, sur la côte ouest de la Thaïlande, indemme.
L’industrie du tourisme représente 70% des emplois directs et indirects de l’île de Phuket. L’employé de l’hôtel et celui du restaurant, mais aussi le teinturier de batiks, la vendeuse de glaces, la masseuse de la plage, le pêcheur qui vend sa pêche aux gargotes. Et aujourd’hui, force est de constater qu’après le choc du tsunami, les touristes ne sont pas revenus, plongeant cette population dans le chômage.
Reconstruction à Phuket
Quelques 8 400 personnes ont été emportées par la vague en Thaïlande,
5 400 corps retrouvés et bien peu ont été identifiés. Toute la région touchée n’a pas subi des dégâts de même ampleur. A Phuket, 90% des hôtels sont déjà reconstruits, bien souvent par des ouvriers birmans. Ces rois de la maçonnerie sont ici salués autant pour leurs compétences que pour leur capacité à travailler des heures pour des salaires de misère. A Patong, Kata Beach, Kamala, des palissades entourent encore des bâtiments le long des plages mais il s’agit, nous dit-on, autant de traces du tsunami que de travaux d’embellissement. Ces travaux de rénovation étaient programmés pour la basse saison, qui a lieu habituellement de mai à septembre. Ils ont été anticipés puisque les clients sont absents.
Les grands hôtels se sont activés pour rouvrir au plus vite et ne pas rater la saison, qui battait son plein. Les assurances se font tirer l’oreille pour rembourser, au mieux 60% des travaux, mais les investisseurs font le pari d’une reprise de l’activité. En revanche pour les pensions de famille, les petites boutiques, les familles elles-mêmes, les dégâts sont à passer par pertes et profits. D’où l’importance d’un retour des touristes, qui se fait attendre. Le patron suisse du Mom Tri’s Boathouse, sur la plage de Kata, ne cache pas son inquiétude: «Sans la reprise du tourisme, c’est un second tsunami qui nous guette, économique». Alors que d’ordinaire il faut réserver ses 38 chambres au moins deux mois à l’avance, il n’avait que 7 clients à la mi-mars. Le propriétaire de l’hôtel, de nationalité thaïlandaise, a investi 17 millions de bahts (340 000 euros) dans la reconstruction. Les plages, superbes, attendent les vacanciers.
Un deuil pas terminé
Le spectacle est tout autre à Kao Lak, à 120 km au nord de Phuket. Ici, la vague a atteint 12 mètres de haut, le district a été totalement ravagé. C’est là d’ailleurs que la plupart des victimes ont été tuées. Contrairement à Phuket, où le bord de mer est bordé de collines, les villages étaient au ras de la mer. Le tsunami a tout balayé, emportant à plus de 2 kilomètres à l’intérieur des terres le désormais célèbre bateau des garde-côtes. Il y est resté, 80 tonnes d’acier échouées sur un site qui devrait devenir un mémorial, à la demande du gouvernement central. Trois mois après les vagues, les bords de mer restent laminés. Du Laguna Resort, un complexe touristique de 5 hôtels, il ne reste que des carcasses cimentées, rideaux pendants encore aux fenêtres. Suwit, le comptable de l’un des hôtels éventrés, évacue l’eau d’une piscine défoncée avec une pelle. Son travail est dérisoire, mais il préfère travailler comme ouvrier que de rester inoccupé. Sur toute la côte, après le passage des sauveteurs, les bulldozers ont aplani les tas de gravas dans un souci de «faire propre» qui surprend un peu car rien n’est reconstruit. Les batailles d’experts d’assurance ont lieu dans certains complexes comme le Sofitel de Kao Lak où se trouvaient la plupart des victimes françaises. Mais souvent les propriétaires et leurs familles ont été eux aussi emportés.
Les villages de pêcheurs n’ont pas retrouvé leur activité: Qu’ils possèdent ou non un bateau, bien peu de marins veulent retourner en mer pour l’instant. Ils attendent le 4 avril et la cérémonie des 100 jours. Une cérémonie bouddhiste qui marquera la fin du deuil et prendra ici une importance particulière, car l’activité reste freinée par la peur des esprits errants. Le cérémonial est à ce point crucial que plusieurs ONG ont décidé d’y consacrer une partie de leurs activités: bien qu’elles s’occupent principalement d’aider au nettoyage et à la reconstruction des équipements collectifs, elles ont dédié des volontaires à la préparation de bambous ornés d’oriflammes qui seront plantés le long des 36 km de plages pour honorer les morts. «Au départ, cela me semblait franchement anecdotique», reconnaît Joa Keis, un Franco-Américain qui consacre deux mois de son temps à la reconstruction, «Mais en fait, je me suis rendu compte qu’il n’y aurait pas de reprise d’activité et de motivation pour reconstruire tant que la période de deuil ne serait pas achevée. Les thaïs plaisantent parfois sur la vague, plus que nous ne pourrions le croire, mais ils ne tourneront pas la page tant que ces 100 jours ne seront pas passés. Et il faut que la cérémonie soit à la hauteur du nombre de morts».
Le tourisme en panne
Pour inciter les touristes à reprendre le chemin de la Thaïlande, le royaume s’engage à reconstruire plus sûr et plus propre. Plus sûr, avec un plan de prévention qui passe par la mise en place d’une liaison directe avec le centre d’alerte au tsunami basé à Hawaï. Des sirènes commencent à faire leur apparition le long des plages pour prévenir les baigneurs. Quant à la propreté, c’est par une réflexion globale que la prise de conscience doit passer. A Phi Phi Island, les maisons de pêcheurs sont devenues au fil des années des maisons d’hôte, gagnant ici une terrasse et là un étage, faisant fi des règles inappliquées de protection du littoral. Le gouvernement affirme vouloir y mettre bon ordre.
De la même façon, les échoppes devraient être interdites sur les plages et les hôtels priés d’être plus regardants sur le recyclage des eaux usées. «Le budget total approuvé par le gouvernement est de 3,85 milliards de baht (100 millions de dollars) pour la reconstruction de l’industrie du tourisme dans les province de la côte d’Andaman, au cours des six ou sept prochains mois de la basse saison» a déclaré à la presse Suwat Liptapanlop, vice-premier ministre chargé du Tourisme. Une importante campagne de promotion a également débuté, relayée par la compagnie nationale aérienne Thaï Airways qui a mis en place des tarifs avantageux. Les vols charters sur Phuket devraient également être encouragés avec une baisse des taxes d’atterrissage. L’an dernier, Phuket a attiré à elle seule 2,75 millions de touristes sur les 10 millions d’arrivées. Un objectif qui sera difficile à tenir en 2005. Malgré des prix intéressants, les tour-opérateurs reconnaissent avoir des difficultés à vendre la destination. De nombreux touristes, effrayés par les images à la télévision, ne veulent pas terminer les circuits sur des plages qu’ils imaginent contaminées. D’ici la prochaine saison, qui débute le 1er novembre, la Thaïlande devra multiplier les démonstrations pour réussir à convaincre.