e sport a le sens des anniversaires. Même des plus douloureux. Vingt ans, presque jour pour jour, après le drame du stade bruxellois du Heysel (39 morts et des centaines de blessés avant le match Liverpool-Juventus, le 29 mai 1985), la finale de la Ligue des champions, mercredi 25 mai, à Istanbul, oppose à nouveau une équipe italienne, le Milan AC, à une formation anglaise, le Liverpool FC.
La présence du club britannique donne évidemment une tonalité particulière à cette rencontre. En voyant 20 000 supporteurs anglais débarquer en Turquie, on ne pourra s'empêcher de penser à ce jour du printemps 1985 où ils avaient envahi Bruxelles.
Une fois rassemblés dans les vétustes tribunes du Heysel, plusieurs centaines d'entre eux, ivres d'alcool et de haine, avaient chargé les Italiens des travées voisines. Ces mouvements de foule avaient entraîné la chute d'un mur, et la mort par étouffement ou piétinement de 39 personnes : trente-deux Italiens, quatre Belges, deux Français, un Irlandais.
Dans son livre, Le Heysel, une tragédie européenne, Jean-Philippe Leclaire, grand reporter à L'Equipe, revient sur cet événement, suivi, à l'époque, par 400 millions de téléspectateurs. Pour mener à bien son enquête, le journaliste a dû avancer à contre-courant : en Angleterre comme en Italie, il s'est souvent heurté à une même volonté d'occulter ce souvenir honteux.
C'est ainsi : les morts du Heysel paraissent désormais bien loin. Pour les hooligans actuels, qu'ils soient britanniques ou continentaux, ils relèvent en tout cas de l'histoire ancienne.
Ils devraient pourtant lire ce livre. Après avoir recueilli des dizaines de témoignages, l'auteur a pu reconstituer, parfois à la minute près, le film de cette catastrophe annoncée. Victimes, hooligans, dirigeants, policiers... Au fil des pages, des personnages émergent, célèbres ou anonymes. A chacun son rôle, sa responsabilité, plus ou moins assumée. Les joueurs, bien sûr, sont omniprésents. Après tout, ils ont disputé ce match, et même célébré la victoire (but sur penalty de Michel Platini), dans le cas de la Juventus.
Il faut avoir connu la capitale belge ce jour-là, et ce fut notre cas, pour mesurer à quel point l'auteur a trouvé le ton juste pour dépeindre les heures précédant la tragédie : la ville sous tension ; la grand-place envahie par des hordes d'Anglais ivres...
Les mots sonnent tout aussi juste pour raconter la suite : les charges successives ; l'horreur, au bas de la tribune Z ; l'incompétence de la police ; l'incapacité des autorités du football européen à reconnaître l'ampleur du phénomène hooligan...
Au final, cela donne un ouvrage riche, bien écrit, qui, sans jamais céder à la tentation du cliché, montre comment le hooliganisme a survécu, lui, au Heysel.
Philippe Broussard